Comme le soulignait Michel Fardeau en 2010, « les travaux de Dejerine dans le domaine neuro-musculaire ne representent qu’une petite partie d’une œuvre impressionnante par son ampleur et par sa qualite… Click to show full abstract
Comme le soulignait Michel Fardeau en 2010, « les travaux de Dejerine dans le domaine neuro-musculaire ne representent qu’une petite partie d’une œuvre impressionnante par son ampleur et par sa qualite puisqu’elle a resiste a l’œuvre du temps. Il n’y a pratiquement aucun chapitre de la clinique ou de l’anatomie du systeme nerveux central et peripherique auquel Dejerine n’ait apporte sa contribution ». En fait, assez tot dans sa carriere, Dejerine s’interessa au systeme nerveux peripherique. En 1875, il debuta des travaux au sein du « Laboratoire de pathologie comparee » du Pr Vulpian. L’une de ses premieres presentations porta sur l’etude de l’influence du courant electrique sur l’apparition des troubles trophiques secondaires a une lesion de nerf peripherique. La meme annee, il commenca a s’interesser a l’etude des processus physiopathologiques impliques dans la degenerescence wallerienne et s’appliqua a minutieusement decrire le processus de degenerescence distale du nerf peripherique moteur suite a la separation de son corps cellulaire (ou « centre trophique »). Par l’etude autopsique de patients presentant une amputation de membre ancienne, il confirma d’une part l’atrophie medullaire homolaterale au membre absent, mais montra aussi une alteration distale des nerfs du membre sectionne (a hauteur du moignon et ne remontant jamais jusqu’a la moelle epiniere. Dejerine et Vulpian etaient ainsi convaincus que cette atrophie medullaire n’etait que fonctionnelle, simple consequence de la suppression distale des troncs nerveux et non de l’extension d’un processus « irritatif » des nerfs et des muscles vers la moelle epiniere, contrairement a ce qui a ete propose par d’autres auteurs de l’epoque (tel que Friedreich au sujet de l’atrophie musculaire de type Aran-Duchenne). Il contribua, apres les travaux d’Octave Landry, a la description de neuropathies d’evolution aigue qui conduiront, plus tard, a l’individualisation du syndrome de Guillain-Barre-Strohl. Ainsi, en 1876, Dejerine et Goetz decrivirent le cas d’un patient ayant presente des paresthesies distales des 4 membres, de vives douleurs des membres inferieurs, puis une tetraplegie d’aggravation tres rapidement progressive sur 6 jours (dans un contexte febrile et associe a une retention urinaire aigue), aboutissant au deces du patient. L’autopsie constata une moelle epiniere indemne (tant macroscopiquement que microscopiquement) sur tout son long ; une seule racine anterieure cervicale fut etudiee, revelant une atrophie assez prononcee et une multiplication des noyaux du « tissu conjonctif inter-tubulaire » [9]. Le diagnostic de « paralysie ascendante aigue » fut alors propose par les auteurs. Les autopsies de certains autres malades le conduiront a constater la presence d’infiltrats de cellules inflammatoires au niveau des racines (1878), ce qui sera confirme en 1969 par Asbury et collaborateurs. Comparant les neuropathies d’evolution aigue a celles d’evolution chronique, Dejerine insista sur la difficulte qu’il y a a preciser les etiologies des neuropathies d’evolution chronique, ce qui s’avere etre encore une realite aujourd’hui. Par la suite, Dejerine et ses collaborateurs (1883) contribuerent a identifier des atteintes des nerfs peripheriques comme responsables « d’ataxies locomotrices » (« nervo-tabes ») qui etaient, jusqu’a ses descriptions, rapportees systematiquement a une « sclerose » des cordons posterieurs de la moelle epiniere des tabetiques. Dans le cadre d’autres concepts et syndromes concernant les neuropathies peripheriques, en particulier du fait de la realisation d’autopsies quasi systematiques, Dejerine s’affirma comme un pionnier, par exemple en demontrant que l’intensite lesionnelle de certaines « nevrites » diminuait a mesure que l’on remontait vers la racine des membres, ce qui correspond a ce qui fut decrit beaucoup plus tard comme une atteinte retrograde longueur-dependante (des axones), correspondant en Anglais au phenomene « length-dependant » de « dying back » ; il individualise et definit ce qu’il a appele la « nevrite interstitielle hypertrophique et progressive de l’enfance » qui sera reconnue par la suite comme le « syndrome de Dejerine-Sottas ». Par ailleurs, Dejerine, en association avec de prestigieux collaborateurs (comme son epouse Augusta Dejerine-Klumpke, Sottas, Andre-Thomas, et bien d’autres), rapporta de nombreuses observations d’atteinte du systeme nerveux peripherique, particulierement demonstratrices d’entites connues qu’il contribuera a mieux definir ; il s’agit des « paralysies par compression », des « nevrites peripheriques toxiques » et des « nevrites infectieuses », de plusieurs observations de « nevrite interstitielle hypertrophique », de cas de « paralysies faciales rhumatismales (dite « a frigore »), etc. Toutes ces publications et presentations sont enumerees chronologiquement et resumees dans ses interessantes (a lire) « epreuves de Titres et Travaux » publiees en 1895 et 1901. Notre presentation sera l’occasion de discuter et de rappeler ce qui caracterise, depuis les dernieres decennies, le syndrome de Dejerine-Sottas (« nevrite interstitielle hypertrophique »), de ses liens avec la maladie de Charcot-Marie-Tooth (qui curieusement avaient ete refutee par Dejerine lui-meme), et de sa signification et sa presence (utile ou non) dans la classification actuelle des neuropathies hereditaires, a l’ere de la biologie moleculaire. Par ailleurs, les travaux en microscopie electronique de Gruner (1960) et de Garcin et collaborateurs (1966) ont permis de montrer que l’hypertrophie nerveuse homogene de cette affection etait en rapport plus avec une proliferation schwanienne « tourbillonnante » (dite en « bulbes d’oignon ») autour des axones restants que d’une simple et intense augmentation du tissu conjonctif interstitiel. Il est donc evident que les travaux considerables de Dejerine ont ete determinants pour instituer, definir, et individualiser les pathologies des nerfs peripheriques ; la force de ses descriptions cliniques et neuropathologiques illustre une fois de plus l’importance de l’etude des correlations clinico-pathologiques qui furent par la suite souvent confirmees et mieux precisees du fait de l’apparition de techniques microscopiques complementaires plus performantes, comme la microscopie electronique.
               
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